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Samy Manga et le goût amer de la culture du cacao
Un entretien avec l'auteur camerounais sur son livre "Chocolaté"

Par Chanelle Leclerc

Comment le cacao cérémonial produit au Guatemala est-il lié au cacao en Afrique? Lorsqu’on parle de dynamique du commerce équitable, il faut comprendre les enjeux sociaux et environnementaux rencontrés à l’échelle mondiale, notamment en Afrique. 

Quel heureux hasard,  de découvrir à mon retour en France, Samy Manga et son livre «Chocolaté, le goût amer de la culture du cacao». Quelques jours dans la peau d’Abena, le personnage principal du livre qui a grandi dans la plantation de cacao de son grand-père en Afrique, pour ressentir la réalité des terres africaines et comprendre la vérité derrière la culture de la médecine que nous aimons tant.

On se rencontre à l'Académie du Climat à Paris où il intervient à une table ronde dont le thème évoque les pays du Sud dans la transition écologique. J’y découvre un militant inspirant, ancré dans son discours pour une production du cacao juste et responsable en Afrique. 

Et je ne pouvais pas résister à l’idée de lui tendre le micro pour partager toutes ces préoccupations communes que nous avions au sujet de l’exploitation globale du cacao. C’est donc à la Recyclerie, qui promeut consommation durable, que je le redécouvre pour vous apporter un regard éclairant de l’agriculture du cacao… du Guatemala au Cameroun.  


Un entretien avec Samy Manga

Par Chanelle Leclerc


Chanelle: Bonjour Samy. 

C’est un vrai plaisir de te revoir aujourd'hui. Tu viens de publier un livre qui s'appelle “Chocolaté Le goût de la culture du cacao”, disponible en français et dont tu fais la promotion en ce moment. Et si tu commençais par te présenter?

Samy:
Je suis Samy Manga, camerounais et je suis écrivain, ethno-musicien et militant écologiste. Et donc je suis le fondateur aussi de l'Association des Ecopoétes du Cameroun, une association qui qui a décidé de mettre sa créativité artistique en faveur de l'écologie et de la biodiversité. Je réside à Lausanne, en Suisse, où je suis directeur artistique, dans un espace culturel qui s'appelle Art Vive Projet.

C: Ton livre parle beaucoup des réalités des plantations de cacao au Cameroun, ton pays natal. En grandissant dans les plantations de cacao, de quelle genre de réalité as-tu pu témoigner ? Qu'est ce qui a un moment t’a poussé à publier ce livre ?

S: Je suis moi-même un enfant du village où j’ai grandi et ai fais toutes mes études primaires, à 50km de Yaoundé où la culture du cacao était déjà installée. Donc, comme tous les jeunes, vous participez de manière involontaire à cette culture. J'ai passé toute mon enfance dans les plantations, avec mon grand père qui était lui-même un producteur de cacao, comme la plupart des parents en Afrique. Et puis j'ai commencé à me poser des questions car je ne comprenais pas vraiment l'utilité qui poussaient tant de personnes à se lancer dans cette culture. Parce qu'il faut noter que le cacao n'est pas un aliment consommable directement. On ne fait pas de sauce ou de couscous avec. C'est une culture qui a été instaurée chez nous.

Puis il y a eu un déclic important. En 1997, quand j'étais déjà en ville pour mes études secondaires, je découvre le chocolat pour la première fois. Une femme en Mercedes nous éclabousse avec sa voiture et s'excuse en nous donnant une boîte et un petit billet. Dans cette boîte, on découvre que c'est du chocolat dont on avait jamais entendu parlé. On est émerveillé par cette explosion de saveur et le goût de cet aliment. Puis on nous expliquera plus tard que c’est en réalité la matière première que nos villages cultivent. C’est là que j'ai réalisé que jamais nous n’avions les retours de ce que cet aliment devenait. Cette réalisation a suscité de la colère et des questionnements. 

Et puis, en 2018, j'ai décidé de raconter cette histoire, de tous ces drames que j'ai vécu étant petits. J'ai fait mon rapport et me suis lancé dans des recherches, puis j'ai décidé de publier ce livre pour la simple raison qu’il faut une prise de conscience. Il y a des gens qui ne connaissent pas les conditions de travail derrière l’exploitation du cacao et la production du chocolat. Il fallait raconter cela aux consommateurs.

D'autant plus qu’en 2020, 100 milliards de dollars ont été générés par l'industrie du chocolat. Sur les 100 milliards de dollars, les pays producteurs ne reçoivent que 6 %. Finalement, ce qui retombe dans la main du cultivateur, c'est 2%. 

Il y a une gravité sur le plan économique mais aussi environnementale tel le désastre que cette monoculture entraîne. Quand je suis arrivé en Suisse en 2020, dans un des pays les plus gros consommateurs de chocolat, le manuscrit était quasi prêt. 


C: Peux-tu nous en dire plus sur la manière dont le cacao est arrivé en Afrique?

S: Historiquement le cacao a été découvert plutôt dans la culture Maya et aztèque, en Méso-Amériqueoù il avait vraiment une signification très mystico spirituelle. Ce n'était pas un aliment surproduit, surconsommer. D’ailleurs il était consommé en général uniquement par des initiés ou durant de rites sacrés pour répondre à des besoins thérapeutiques au niveau de l'esprit, du corps, pour célébrer des personnages importants de la société, ou encore les récoltes. C'était un aliment qu'on consommaient à des occasions assez spécifiques. Mais au fil de l'histoire, les explorateurs ont ramené le cacao en France au XVe siècle, où la transformation a évolué par rapport à la façon artisanale des Aztèques. C’est là qu’on a expérimenté la pâte, en y injectant du lait pour faire du chocolat dont la consommation a explosé.

D’ailleurs, c'était une reine d’Autriche qui, à l’occasion de l'un de ses mariages, a offert cela à la cour royale. Cela fera du chocolat, un aliment impérialiste pour la haute société. Et à cette époque d'ailleurs, comme aujourd'hui encore, qu’il y avait des marques du chocolat qui coûtaient très cher et donc, peu accesibles. C'est de la France que le cacao va s'exporter en Afrique par le biais de la colonisation où il va être imposé aux pays africains, le climat et l’environnement étant adapté à la culture. Nous, on ne faisait que fournir des fèves aux pays Occidentaux, sans jamais la consommer.


C: Et qu’en est-il du fruit ? Le mangez vous ? Parce que c’est délicieux ! On peu le suçoter en faire des eaux fruitées et rafraichissantes. Et les Guatémaltèques le mettent dans certains plats traditionnels, comme le Mole Platano, qu’ils font avec de la banane plantain, de la pâte de cacao et des épices.

S: En Afrique, on déguste et suce les fèves de cacao. Il donne même un jus très sucré qu’on stock, et qu’on peut même fermenter. Mais ce n’est pas un aliment pour nourrir la famille. C’est la différence entre les cultivateurs d’Amérique du Sud et d’Afrique. La culture du cacao a été imposé en Afrique. Ca n’intéressait pas les colons qu'on sache le produire et le transformer. La plante était méconnue sur le continent. Le rapport au cacao était économique. Il y a des producteurs qui en 50 ans de cultures de cacao en Afrique n'ont jamais mangé une plaquette de chocolat.

Or, au Guatemala, et autres pays d’Amérique du Sud, ils ont des manières traditionnelles, acquis au fil des générations, pour le consommer. Ils savent comment cuisiner avec. Comme nous, on sait comment faire avec d'autres… On récolte les arachides, les grille, on fait bouillir les graines, les laisse sécher et les écrase pour en faire des sauces. La consommation d’un aliment est inscrite dans la culture d'un peuple. 

C: Je me souviendrais toujours, lorsqu’on a marché 1h et demie dans la jungle avec l’équipe de Cacao Source, pour rencontrer un de nos producteurs au nord du Guatemala, dans la région de Lanquin. Là, Crisanto et sa famille nous ont accueillie autour d’un repas. A la fin du repas, nous avons partagé un verre de cacao qui n’est pas du tout la boisson sous sa forme la plus courante: le chocolat chaud, la boisson cacaotée. C'était en faite une eau sucrée à la canne à sucre sur laquelle flottait la pâte finement coupée. Le plus intéressant, c'était l’histoire qu’il nous a transmise. Crisanto nous explique, que le cacao flotte en surface parce qu'il permet cette reliance avec le monde spirituel et divin, et donc il permet plus de connexions et d'harmonie au sein de la communauté. J’avais trouvé ça très fort d'aller chez un producteur me conter cette petite histoire ancestrale et symbolique, qu’il continuera à transmettre et qui malheureusement se perd beaucoup au Guatemala. Les collectifs de femmes aussi ont perdu contact avec cette reliance spirituelle, parce que l’évangélisme est arrivé avec les conquistadors au XVI siècle. Ce qui a impacté les cultures mayas et indigènes, et donc les savoirs ancestraux.


C: Et du coup, Samy comment tu penses qu'on peut contribuer à soutenir les communautés locales et les producteurs de manière générale? 

S: Oui, je crois que c'est là la clé de notre question. Aujourd'hui, face à la dégradation climatique, quelles sont les solutions? Il faut d'abord une prise de conscience sur le plan politique, car ce sont les Etats qui peuvent instaurer des politiques économiques et agricoles en faveur des communautés.

Il faut aussi dire qu’il s'agit de la survie de l'espèce humaine et il nous faut réguler tout notre système de consommation et de production. Des voitures, aux téléphones portables, en passant par les habits de l'industrie d'habillement. Tous nos aliments dont le cacao et la consommation du chocolat. Parce que sur le plan climatique, le cacao est à la racine de déforestations majeurs. En Côte d'Ivoire, c’est plus de 80% de sa couverture forestière qui a déjà disparut. Ce n'est pas normal pour une seule culture. On ne parle même pas du café, du coton, ou de l’élevage… Cette situation est aussi rencontré dans les pays du Ghana, Cameroun, Centrafrique, Congo, et au Gabon. Cela se cumule avec le travail des enfants qui participent volontairement à l'effort familial, et la rémunération des producteurs qui pour moi relève carrément du colonialisme avec esclavagisme... 

Pour amorcer des changements, les Chocolatiers Engagés m'ont récemment invité à leur assemblée générale pour réfléchir sur leur manière de produir le cacao de façon équitable. D’ailleurs, ils vont dans les plantations, et amènent aussi du chocolat dans les villages pour faire découvrir aux jeunes et leur ouvrir l’opportunité de se former dans les métiers du chocolat. Et ça, c'est magnifique. Ce que vous faites avec Cacao Source, à travers des ateliers plus thérapeutique et l’équitabilité de votre modèle, c’est ce qu’il faut. Si on amène l’équitabilité à travers des initiatives, on peut éveiller aussi les politiques et les multinationales. 

C: Il y a un énorme décalage entre ce qui est généré, ce qui consommé et ce qui est redistribué. Quand on sait que la moyenne de consommation annuel de chocolat pour un Suisse ou un Français serait de 11 kg et qu’on comprend tous les enjeux climatique et sociaux, on se dit qu’on ne peut pas fermer les yeux parce qu'on consomme tellement.

C'est intéressant que ces jeunes puissent enfin travailler le produit le cacao et le transformer. Mais surtout que tous les coûts de transformation, soient réinjectés dans l'économie locale et qu'il reste au pays. Et nous, c'est aussi quelque chose qu'on fait à travers Cacao Source. Etant donné que tout est transformé au Guatemala, tout revient à l'économie locale (les salaires impliqués dans le processus de production, l’emballage…). Là où, dans beaucoup de cas, les chocolatiers achètent les fèves directement au pays, les importent et ensuite transforment directement dans les pays développés, ce qui augmente considérablement les coûts de production et entraîne une hausse dans le prix d’une tablette de chocolat.


C: D'ailleurs, toi qui a grandi dans les plantations de cacao et as aidé l'entreprise de ton grand-père. Est ce que tu sentais que d'une année à l'autre, vous parvenez à, soit produire plus, soit à vous enrichir plus?

S: Dans mon livre il y a ce petit poème où le grand père dit à Abena “L'argent des blancs est comme l'argent du démon. L'argent des Blancs retourne toujours dans son pays et retourne toujours chez les Blancs”. Cela illustre un peu le mystère des revenus économiques du cacao. Ce qu'on a brandi en imposant la culture du cacao, c'était la possibilité de s’enrichir à travers sa production. Couplé au développement du pays et de la communauté. Et effectivement, en étant producteur de cacao, même sans trop entretenir votre plantation, vous avez une garantie qu’au moins deux fois par an, vous êtes sûr que vous allez récolter quelque chose. Mais au fil du temps, malgré cette garantie économique, les gens ne sont pas sortis de la pauvreté. Ça se vérifie même sur le plan national. On ne peut pas dire que la Côte d'Ivoire, premier producteur de cacao, soit un pays riche. Ce qui est très contradictoire. Quand on a réussi à vendre, on réinjecte là où on a pris des crédits, pour se soigner ou autres. Et puis à un moment donné, on commence le travail des champs pour préparer la saison suivante des récoltes. Et finalement, c'est un cycle infernal où les gens ne deviennent pas systématiquement riche au point de se séparer du cacao. À la limite, ça installe une dépendance.

Et de toutes façons, peu importe ce que tu produis, tu obéis toujours à ceux qui fixent les prix. Parfois tu fais une petite majoration et d’autres fois, tu es pris contre le mur parce qu'il faut absolument que tu vendes ton cacao. D’autant plus que tu ne le consommes pas. Et il n'y a pas de dignité au niveau du prix d'achat. Par exemple, on me va m’acheter 1,50 €/kg alors que la barre coûte 5 ou 6 €. Mais s'il vendait son kilos de cacao à 5 €/kg. Au bout de 5,10 ans, le producteur pourrait quand même faire des économies. Or ce n’est pas ce qu’il se passe.

C: Une dernière question avant de clôturer l'interview.  On va appeler le sorcier Sammy qui est en toi. Si tu avais une baguette magique, qu'est ce que tu ferais pour la culture du cacao?

S: Je voudrais voir une consommation du cacao dans ses valeurs spirituelles, à travers ses propriétés médicinales. Qu’il est vraiment ce rapport intime et spirituel. Qu’on sorte le cacao et le chocolat à des occasions spécifiques sacralisé. C'est une plante merveilleuse, quelque chose qu'on partage dans des moments spécifiques de connexion, à soi, aux autres.


C: Merci Samy. C'est un grand honneur de t'avoir.

S: Merci c’était un plaisir


Conclusion


Je suis très heureuse d’avoir pu vous partager les fruits de cette rencontre. Merci à Samy et à ses histoires éclairantes, sa détermination à unifier toutes les forces visant à amplifier notre impact sur la communauté agricole mondiale du cacao, et pour une consommation consciente et nutritive de ce mets délicat. Je vous recommande fortement la lecture de son livre empli de faits réels et vécus, et illustré de ses mains d’artistes. 

Vous pouvez retrouver tout son projet sur son site internet. https://www.samymanga.com/ et achetez son livre ici.

N'oubliez pas qu'à chaque achat d'une barre de Cacao Source, vous contribuez à la création d'un écosystème durable pour la production, la transformation et la distribution du cacao au Guatemala.

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